FRAGSTATS : un outil innovant pour analyser la trame verte et bleue sur de grands territoires
Objectif : vous présenter une méthode pour analyser la trame verte et bleue d’un territoire et prioriser les réservoirs et corridors à préserver, avec une application possible aux documents d’urbanisme
-> Pour télécharger la présentation de Fragstats du 15 décembre 2017 présentée aux journées Trame Verte et Bleue 2017-2018 organisées par Nature Midi-Pyrénées, c’est ICI.
-> Pour télécharger le flyer de présentation synthétique de la méthode, c’est ICI.
-> Pour télécharger le tutoriel technique d’utilisation de Fragstats pour l’analyse de la trame verte et bleue, entrez votre email ci-dessous.
-> Pour aller plus loin, je vous propose une formation sur l’outil.
Le contexte
Dans le contexte actuel de dégradation des milieux naturels et de la biodiversité, et face aux évolutions récentes de la réglementation en matière d’environnement, il devient nécessaire de développer de nouveaux outils facilitant l’identification et la localisation des zones à enjeux de biodiversité sur de grands territoires.
En particulier, les porteurs de grands projets d’aménagement du territoire, comme les SCoT ou les PLUi, ont besoin d’aller au-delà de la simple compilation des zonages réglementaires et de la retranscription des Schémas Régionaux de Cohérence Écologique (SRCE). Il existe une demande croissante d’intégrer d’autres éléments fonctionnels issus de l’écologie du paysage permettant d’identifier les secteurs à forts enjeux potentiels de biodiversité et les corridors écologiques qui les relient. Souvent, se pose également la question de la priorisation des éléments à préserver : Quels boisements classer en espaces boisés classés sur ma commune ? Quels sont les linéaires boisés à protéger ou restaurer en priorité ?
D’autre part, de plus en plus de données à grande échelle sont disponibles en libre-accès, mises à disposition par leurs producteurs ou par l’intermédiaire de plateformes régionales. La mise à disposition de ces données ouvre un large champ d’investigation quant à leur utilisation possible pour faciliter la prise en compte de l’environnement en général et de la biodiversité en particulier dans les politiques d’aménagement du territoire.
La méthode présentée ici s’appuie sur des données d’occupation du sol à grande échelle puis sur le calcul d’indices mesurant l’hétérogénéité spatiale du paysage permettant de localiser les secteurs les plus favorables à la biodiversité. Le calcul des indices est réalisé grâce au logiciel Fragstats, développé par des chercheurs américains, le Dr Kevin Mc Garigal et Barbara Marks.
Quelques notions de base en écologie du paysage
Un « paysage » peut être définit comme une surface ou un « morceau de territoire » hétérogène constitué d’éléments en interaction les uns avec les autres. L’écologie du paysage est la science qui étudie les interactions entre ces éléments pour comprendre le fonctionnement des systèmes écologiques. Le « paysage » perçu n’est pas le même d’une espèce à l’autre; il sera différent en fonction de la taille des individus, de leur capacité de dispersion, du cycle de vie de l’espèce, des obstacles éventuels (géographiques, dus à la présence d’un prédateur, à la présence d’un milieu hostile, etc.)…
En effet, dans un territoire donné, chaque espèce occupe un habitat ou un ensemble d’habitats naturels spécifiques. Certaines espèces sont spécialistes d’un type d’habitat donné (ex : un champignon vivant exclusivement au pied d’un Chêne), d’autres sont dites « généralistes » car elles utilisent plusieurs types d’habitats différents en fonction de leur activité (ex : une chauve-souris qui hiberne et se repose dans une grotte, qui chasse en lisière de forêt, qui utilise un réseau de haies pour se déplacer et qui va boire dans un cours d’eau). D’autres espèces, encore, nécessitent des habitats différents au cours de leur cycle de vie (ex : une libellule dont la larve est aquatique et l’adulte volant).
Du fait de ces préférences d’habitat, on dit que chaque espèce occupe une niche écologique qui lui est propre et qui lui permet de subvenir à ses besoins fondamentaux : nourrissage, reproduction, dispersion. Il existe des redondances dans les niches écologiques utilisées par les espèces, mais globalement, la sélection naturelle et la compétition entre espèces ont permis à chacune de trouver sa place et d’optimiser l’utilisation des ressources sur un territoire. Il en découle que plus un paysage est hétérogène, c’est-à-dire plus il comprend d’habitats naturels différents par leur nature, leur surface, leur structure et leur composition, plus il est favorable à la biodiversité puisqu’il fournit les ressources nécessaires à l’épanouissement d’un plus grand nombre d’espèces.
D’autre part, les individus d’une espèce donnée ont besoin de se déplacer d’un habitat à l’autre pour réaliser leurs différentes activités ou pour aller occuper de nouveaux territoires. Dans un « paysage » donné, les espèces se répartissent donc entre différentes populations, ces dernières étant reliées les unes aux autres par des flux d’individus (exactement comme nous nous déplaçons d’une ville ou d’un pays à l’autre). La capacité des espèces à se déplacer dans un « paysage » donné est donc nécessaire à la survie de l’espèce puisqu’elle favorise les échanges de gènes, et donc la capacité de l’espèce à s’adapter à son environnement. De ce fait, plus une espèce a de facilité à se déplacer dans un territoire donné et plus ses différentes populations sont géographiquement proches, plus le territoire est favorable à sa survie. Ainsi, plus les secteurs d’habitats favorables à une espèce (abritant chacun une population) sont connectés entre eux, plus le territoire lui est favorable. Les espèces ont également besoin d’habitats suffisamment grands pour subvenir à leurs besoins.
L’hétérogénéité du paysage, c’est à dire le niveau de diversité des unités paysagères en présence (nature, forme, taille, composition, structure) se mesure. Il est donc possible d’identifier les secteurs les plus « hétérogènes » et donc les plus favorables à la biodiversité, sur la base de différents indices décrivant différents aspects de cette hétérogénéité.
Il existe deux grandes catégories d’indices : 1/ les indices décrivant la composition du paysage (nombre, nature et diversité des types d’unités paysagères) et 2/ les indices décrivant la configuration spatiale du paysage, c’est à dire l’agencement des unités paysagères les unes par rapport aux autres. Il existe une très grande diversité d’indices dans chacune de ces catégories. Une fois calculés, ces indices peuvent être combinés pour identifier des secteurs d’intérêt en fonction de différents critères.
L’approche proposée
La réalisation d’une analyse éco-paysagère fonctionnelle permet d’identifier des réservoirs de biodiversité et des corridors écologiques en complément de ceux matérialisés par les zonages de protection et d’inventaires et par les Schémas Régionaux de Cohérence Écologique. Elle peut également permettre de comparer des « paysages » entre eux ou des unités paysagères entre elles au sein d’un paysage, et donc, par exemple, de prioriser les éléments à préserver sur un territoire donné.
Il existe différents outils pour mener à bien ce type d’analyse. Ici, je propose de vous présenter l’outil d’analyse paysagère Fragstats (McGarigal, K., SA Cushman, and E Ene. 2012). Cet outil permet de mesurer l’hétérogénéité spatiale d’un territoire donné au travers de différents indices paysagers. Le territoire étudié est assimilé à un paysage correspondant à un ensemble complexe d’unités paysagères :
Les caractéristiques de l’outil
Fragstats est un outil en libre accès (dans le domaine public depuis 1995), évolutif (mises à jours et améliorations régulières) et facile à prendre en main une fois formé à son utilisation (env. 1 journée).
Son utilisation nécessite des compétences en SIG, notamment la manipulation de couches de données vecteurs et rasters pour préparer les données d’entrée et traiter les résultats. Il est également important d’avoir des notions en écologie du paysage pour s’assurer de la pertinence du choix des indices et de leur paramétrage (les notions de base peuvent être acquise par formation rapide, sinon, il est toujours possible de faire appel à un/une écologue pour valider les choix réalisés). Enfin, le logiciel et l’ensemble de la documentation sont actuellement en anglais. Je travaille sur un projet de tutoriel en français pour un usage à destination des documents d’urbanisme. Il sera mis en ligne prochainement sur mon site internet.
Pour en savoir plus sur l’outil Fragstats : http://www.umass.edu/landeco/research/fragstats/fragstats.html
Choix préalables et paramétrage de Fragstats
L’utilisation de Fragstats nécessite de réaliser un certain nombre de choix préalables à l’analyse.
1/ Choix du mode de représentation de l’occupation du sol : une couche homogène sur l’ensemble du territoire.
Format vecteur à convertir au format raster, qui est le format de travail de Fragstats.
2/ Choix du type d’analyse :
Analyse par unités paysagères (Patch analysis) : une valeur de chaque indice pour chaque unité paysagère
Analyse par fenêtres coulissantes (Moving windows analysis) : une valeur par pixel pour chaque « sous-ensemble » du paysage délimité par un cercle ou un carré.
3/ Choix de l’échelle d’analyse : chaque échelle apporte des informations différentes et complémentaires aux autres
Échelle de l’unité paysagère : chaque unité est analysée séparément (mais pas indépendamment des autres). Les indices décrivent la forme de chaque unité, la surface, le périmètre, la diversité, ou la distance aux autres unités.
Echelle de la « classe » : l’ensemble des unités d’un même type = par exemple appartenant à la même sous-trame (forestière, aquatique, milieux ouverts…) sont analysées ensemble. Les indices correspondent à des statistiques sur les indices calculés au niveau de chaque unité : surface moyenne des unités de la sous-trame, longueur totale de lisière de la sous-trame, compacité moyenne, etc.
Echelle du « paysage »: toutes les unités paysagères sont analysées ensemble. Les indices correspondent à des statistiques globales sur l’ensemble des unités du paysage, indépendamment de la sous-trame à laquelle elles appartiennent. Par exemple, diversité des unités, surface moyenne, densité totale de lisière, etc.
4/ Choix de la règle de délimitation des unités paysagères
5/ Choix des indices à calculer
Les plus courants : forme, surface, longueur de lisière, zones « cœur », densité et diversité des unités, hétérogénéité dans l’environnement…
6/ Définir les paramètres de « lecture » du paysage en fonction des indices sélectionnés, par exemple :
Rayon de recherche pour les indices de proximité et similarité
Profondeur de lisière pour les indices analysant les zones « cœur »
Niveau de contraste pour les indices basés sur l’analyse du contraste entre deux unités adjacentes.
Lancement de l’analyse et traitement des résultats
Une fois tous ces choix réalisés, il suffit d’importer la donnée d’entrée depuis l’interface Fragstats et de cocher les cases correspondant aux paramètres sélectionnés. Ensuite, l’analyse peut être lancée : commande « Run ».
Traitement des résultats d’une analyse par unités paysagères :
Traitement des résultats d’une analyse en fenêtres coulissantes :
Croisement avec les zonages réglementaires et les éléments du Schéma Régional de Cohérence Écologique pour prioriser les réservoirs à protéger :
Pré-identification des principaux corridors de biodiversité :